Plan d’action interministériel en santé mentale 2022-2026 : qu’en est-il du bien-être et de la santé mentale des jeunes?

Plan d’action interministériel en santé mentale 2022-2026 : qu’en est-il du bien-être et de la santé mentale des jeunes?

Par Simon Beaudin, analyste sociopolitique au ROCLD

 

C’est mardi le 25 janvier qu’a été dévoilé le Plan d’action interministériel en santé mentale 2022-2026 (PAISM) par Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux. Le Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage (ROCLD) salue les investissements et mesures déployés pour favoriser le bien-être et la santé mentale des jeunes. Toutefois, il déplore le silence et l’absence de solutions pour s’attaquer aux causes qui les mettent à mal.

 

D’entrée de jeu, nous saluons les sommes investies pour bonifier l’accès aux interventions psychosociales en milieu scolaire (équipe en santé mentale jeunesse et prévention des dépendances) et pour la promotion de la santé mentale (bonification de l’approche École en santé). Il s’agit d’importantes sommes qui devraient permettre une amélioration de l’accès aux services en santé mentale pour les jeunes, qui à l’heure actuelle, est problématique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs de l’école. Nous saluons également la bonification du soutien à la mission des organismes d’action communautaire autonome en santé mentale.

 

Une première omission : la contribution des organismes d’action communautaires autonomes jeunesse

« Les organismes de lutte au décrochage font vivre des réussites à chacun des enfants en respectant leur rythme et en leur donnant confiance en eux-mêmes. On les amène à vivre des succès malgré le stress ou l’anxiété ».

 

Véronique Thibault, présidente du ROCLD et directrice de l’OCLD Pro-Jeune-Est situé à Rimouski.

 

Bien que leur mission ne soit pas spécifiquement la santé mentale, les activités déployées par les organismes d’action communautaire autonome jeunesse, dont les organismes communautaires de lutte au décrochage (OCLD), constituent un important facteur de protection pour le bien-être et la santé mentale des jeunes. Or, le PAISM omet ses ressources pour aider les jeunes. L’approche globale déployée par les OCLD permet d’intervenir sur les multiples facteurs et besoins en amont et en périphérie des difficultés scolaires, dont le bien-être et la santé mentale. Ils agissent en prévention, en alternative et contribuent au rétablissement des troubles de santé mentale. Les jeunes y sont accueillis avec leur vécu, leur histoire, leurs forces et leurs défis. Les OCLD accompagnent les jeunes à surmonter leurs difficultés, à actualiser leurs forces et à (re)découvrir leur pouvoir d’agir sur leur vécu scolaire. Dans bien des cas, les OCLD soutiennent aussi les familles de ces jeunes. Pour soutenir davantage les jeunes, le gouvernement doit reconnaître les organismes d’action communautaire autonome jeunesse, des centaines de ressources compétentes et disponibles sur le terrain, et rehausser significativement leur financement à la mission dans le budget qui sera déposé en mars.

 

Une promesse oubliée par la CAQ, un enjeu social ignoré

Parmi ses promesses électorales en 2018, la Coalition avenir Québec (CAQ) s’engageait à « s’attaquer au problème du surdiagnostic médical ainsi qu’à la surconsommation de médicaments », notamment en ce qui a trait aux prescriptions d’antidépresseurs. On affirmait même dans les Orientations en santé de la CAQ 2018 vouloir « s’attaquer concrètement et rapidement » aux causes systémiques du surdiagnostic. Or, dans le PAISM, on ne trouve aucune mention du surdiagnostic, de la surmédication ou de la médicalisation. Le manque d’accès aux services en santé mentale est un facteur important de la surmédication, mais il est loin de s’agir du seul facteur en cause.

 

Rappelons quelques données pour bien cerner l’ampleur du phénomène de la médicalisation des difficultés vécues par les jeunes, exacerbé encore davantage dans le contexte de la pandémie :

 

  • Selon l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes au secondaire 2016-2017 menée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) :
    • 1 jeune sur 5 (19,5%) au secondaire a reçu un diagnostic de trouble anxieux, de dépression ou de trouble alimentaire par un professionnel de la santé ;
    • Près de 1 jeune sur 4 (23%) a reçu un diagnostic de trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA-H) ;
    • Le nombre de diagnostics pour l’ensemble de ces troubles de santé mentale est en croissance et ;
    • Plus de 1 jeune sur 6 (14,8%) prend un médicament pour se calmer ou se concentrer du type Ritalin ou Ativan. Ce taux a pratiquement doublé en 6 ans.
  • Selon l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS), en 2017-2018, 8,1% des jeunes de moins de 25 ans font l’usage d’une médication pour le TDAH. Ce taux est plus de 2 fois plus élevé que la moyenne canadienne sans le Québec.
  • Selon le Portrait sur le bien-être des jeunes au Québec de l’Institut national de recherche scientifique (INRS),            1 jeune sur 3 (37,3%) se situe à un niveau élevé de détresse psychologique.

 

TDA-H : des délais et des objectifs peu ambitieux

La mesure 4.10 est la seule à notre sens qui traite de l’enjeu de la médicalisation. Il s’agit de la mise en œuvre d’une recommandation de la Commission de la santé et des services sociaux dans son rapport sur l’augmentation préoccupante de la consommation de psychostimulants chez les enfants et les jeunes en lien avec le TDAH. Avec cette mesure le gouvernement s’engage, d’une part, à mettre sur pied un comité interministériel dont l’objectif est de publier un guide sur le diagnostic et les services pour le TDA-H et, d’autre part, de lancer un appel de projets pour des pratiques novatrices à hauteur de 5M$ sur 5 ans. On peut se réjouir que le gouvernement ait entendu les préoccupations portées entre autres par le Mouvement Jeunes et santé mentale (MJSM) et qu’il donne suite à une importante recommandation de la commission. Par contre, nous jugeons que la portée de cette mesure est faible : trois ans après la mise sur pied d’une commission parlementaire, on s’engage à mettre sur pied un comité qui publiera un guide, espérons-le, d’ici trois ans. Il faudra donc attendre encore plusieurs années avant de pouvoir observer un changement dans les pratiques de surdiagnostic sur le terrain.

 

Le rôle de l’école dans la médicalisation des difficultés scolaires

Une autre omission importante du PAISM est le rôle de l’école et l’organisation des services aux élèves handicapées ou en difficultés d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA). Actuellement, en milieu scolaire, une évaluation des besoins de l’enfant ou du jeune doit être réalisée par un professionnel pour avoir droit à des services et/ou des adaptations. Selon le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), il y a une confusion importante et persistante dans le réseau scolaire : un diagnostic est souvent considéré à tort comme une exigence préalable pour avoir accès à ces derniers. Cette confusion et le fait que les délais d’attente pour l’évaluation des besoins peuvent s’étirer jusqu’à 2 ou 3 ans alimentent une course au diagnostic dans les cliniques privées pour les familles qui en ont les moyens.

 

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dans son étude systémique sur Le respect des droits des élèves HDAA et l’organisation des services éducatifs dans le réseau scolaire québécois, souligne que le manque de personnel et la lourdeur administrative du processus d’évaluation des besoins ont pour conséquences que le personnel professionnel dédie une partie importante de son temps aux évaluations, et ce, au détriment des interventions avec les jeunes. La Commission observe également, un manque dans le suivi des plans d’intervention, faisant en sorte qu’au fil des ans, des jeunes traînent des plans d’intervention qui peuvent être en décalage avec leurs besoins actuels.

 

L’organisation des services aux élèves HDAA est vraisemblablement un facteur important du surdiagnostic en santé mentale chez les jeunes. Dans son rapport sur Le bien-être de l’enfant à l’école, le CSE nous enjoint à ce titre à mener

« [u]ne nécessaire réflexion sur la médicalisation des difficultés des jeunes ». Une révision du modèle de financement des services aux élèves HDAA a été entamée par l’actuel ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. Nous sommes impatients de prendre connaissance de ce nouveau modèle annoncé pour 2022-2023.

 

Pendant ce temps : déploiement à grande vitesse du dépistage précoce et prédictif

« Des changements dans la vie de l’enfant, tels que : des conflits familiaux, la séparation des parents, des difficultés d’adaptation à la rentrée à la maternelle, un choc culturel, des situations d’intimidation à l’école… peuvent mener à des problèmes de santé mentale et la médication. Tout cela demande du temps d’intégration, des outils et de chercher les réels besoins de chaque enfant. Malheureusement, on ne donne pas assez d’espace et de confiance à l’enfant. »

 

Houda Al Harrak, coordonnatrice du soutien scolaire de l’OCF avec volet de soutien scolaire

La Maison des Parents de Bordeaux-Cartierville situé à Montréal

 

En 2019, les ministères de la Santé et des Services sociaux, de l’Éducation et de la Famille, déployaient conjointement le programme Agir tôt, les maternelles 4 ans et l’implantation de CPE en milieux défavorisés. Ces mesures ont pour objectifs de rehausser l’accès aux services pour les enfants de moins de 5 ans et de dépister à grande échelle (selon les documents consultés) les indices de difficulté, les retards de développement, les vulnérabilités, les enfants à risque de développer des difficultés d’apprentissage ou de comportement, des troubles neurodéveloppementaux… Selon le ministre Carmant, le programme Agir tôt permettrait d’intervenir auprès des enfants sans exigence d’un diagnostic formel et, conjointement avec les maternelles 4 ans, devrait faire « chuter le nombre d’enfants qui ont besoin d’un suivi particulier en classe ». Il s’agit encore une fois de mesures importantes pour la santé mentale des enfants et des jeunes, mais absentes du PAISM.

 

Nous sommes d’avis que le déploiement à vitesse grand V du dépistage précoce et prédictif en milieu scolaire présente un risque réel d’alimenter la tendance à la médicalisation. On se retrouve dans une position où on souhaite s’attaquer au surdiagnostic en diagnostiquant plus d’enfants et à un plus jeune âge. Plusieurs éléments sont préoccupants à cet égard. Considérant l’organisation actuelle des services aux élèves HDAA et les conclusions de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, est-ce que le réseau scolaire est en mesure de soutenir un plus grand nombre de jeunes qui se verront attribuer un diagnostic? Des acteurs du réseau scolaire ont à ce titre demandé à l’automne de freiner la vitesse d’implantation des maternelles 4 ans puisqu’ « on coupe du service ailleurs parce qu’on n’a pas le personnel pour le donner. »[1]

 

D’autre part, le déploiement des maternelles 4 ans se fait dans un contexte où les pratiques diagnostiques, entre autres du TDA-H, sont préoccupantes à plusieurs niveaux. Les témoignages des jeunes consultés par le MJSM indiquent que l’octroi d’un diagnostic pour un TDA-H est extrêmement variable, allant d’un examen rapide en moins de 5 minutes à plusieurs séances d’évaluation. On sait aussi, par exemple, que les élèves les plus jeunes d’une classe (nés entre juin et septembre) ont plus de chance d’obtenir un diagnostic et que les jeunes qui ont des difficultés scolaires vont avoir davantage de pression au diagnostic. Un même processus de médicalisation touche les enfants qui ne sont pas en adéquation avec les normes et à la culture scolaire à leur entrée à l’école. Ce sont des exemples de situations où on appose une lecture et un traitement biomédical à une situation ou une difficulté qui n’est pas d’ordre médical. Porter un diagnostic pour un enfant ou un jeune n’est pas une mince chose. Étiqueté comme « troublé » ou « déficitaire », le diagnostic peut avoir des conséquences importantes sur la construction identitaire des jeunes, sur leur parcours scolaire et sur les relations avec leurs pairs, l’étiquette pouvant conduire à la stigmatisation et l’intimidation.

 

Nous sommes inquiets de constater qu’aucune mesure pour contrer le surdiagnostic et la médicalisation n’est actuellement mise en place par le gouvernement.

 

Note à la personne lectrice : ne pas oublier le contexte social et les conditions socioéconomiques

Enfin, à la lecture du PAISM, il est nécessaire de se rappeler que les conditions socioéconomiques représentent le facteur le plus déterminant du bien-être des enfants et des jeunes. Les déterminants socioéconomiques sont abordés rapidement dans le plan d’action, mais on nous réfère plutôt au Plan d’action pour l’inclusion économique et la participation sociale. L’action gouvernementale en matière de santé mentale et la portée du PAISM doivent être considérées à la lumière de facteurs comme l’accès au logement, le coût du panier d’épicerie au regard du pouvoir d’achat, de l’évolution des programmes sociaux… qui affectent directement les conditions de vie de la population.

 

De plus, si on souhaite comme société soutenir les enfants et les jeunes dans leur bien-être et leur santé mentale, il est nécessaire de considérer les autres causes qui sont en jeu, entre autres, les conséquences des restrictions budgétaires depuis les années 2000 sur les conditions d’apprentissage des jeunes, la place de l’école privée et la cristallisation d’un système scolaire à 3 vitesses, l’état des bâtiments scolaires et l’impact de l’environnement d’apprentissage sur le bien-être, les pressions et la culture de performance, l’omniprésence des écrans et les effets négatifs de l’usage excessif des réseaux sociaux tels qu’on les connaît aujourd’hui.

 

 

À propos du ROCLD

Fondé en 1996, le Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage (ROCLD) compte 59 organismes communautaires autonomes répartis dans quatorze régions du Québec. Ces organismes accompagnent et soutiennent plus de 8 000 jeunes en difficulté chaque année. Le ROCD a pour mission de favoriser la concertation et les échanges entre les organismes communautaires qui travaillent à la problématique du décrochage scolaire, d’assurer leur représentation en tant qu’interlocuteur privilégié auprès des diverses instances publiques et communautaires, de les soutenir dans la consolidation et le développement de leurs activités.

 

Pour aller plus loin